Ces chers Italiens by Curzio Malaparte

Ces chers Italiens by Curzio Malaparte

Auteur:Curzio Malaparte
La langue: fra
Format: epub
Tags: Litt. italienne
Éditeur: Les Belles Lettres
Publié: 2017-06-04T04:00:00+00:00


DEUXIÈME PARTIE

La mort à Venise

Le Campo de Saint-Jean et Saint-Paul n’a pas été commencé, il n’est pas fini. Il y a le canal, il y a le pont, les fondamental, l’église, l’hôpital ; il y a le monument de Bartolomeo Colleoni ; mais la place, elle, n’y est pas. Il faut creuser au beau milieu pour la construire, creuser dans cet air dense, plein de relents nocturnes, d’odeurs élastiques, creuser au bulldozer, excavatrices électriques, perforeuses à air comprimé pour construire la place. Un peu d’espace libre, de vide près du Ponte del Cavallo. Mais sur la droite, entre la grande église et la façade des maisons, l’air nocturne fait masse et la place est encombrée de tout un matériel d’occasion ; voilà même qu’un nuage s’avance par la rue, à ras du sol, avec dedans une autre place, peut-être vide, peut-être encombrée, elle aussi, de tout un matériel d’occasion.

Sous le Ponte del Cavallo, une gondole sortie, Dieu sait comment, du fil de l’eau morte, grimpe sur la façade d’une maison, décrit un arc de cercle sur elle-même, retourne au Pont, reprend le fil du courant mort. C’est la nuit. Sur la place pleine de papiers déchirés, d’immondices claires (rose, vert, orange), il y a quelque chose qui ressemble à une présence, un obstacle impromptu qui ressemble à un cri gelé, un soupir, un râle. Derrière cette façade où se détachent des lions pareils à de gros chiens pacifiques, sans compter les enfants qui jouent au 4 bas des colonnes qui sont de chaque côté du portail (« pendant la nuit, l’entrée de l’hôpital est au Ponte dei Mendicanti »), derrière cette façade sont alignés les lits d’hôpital avec leurs malades moites, mal lavés, dans l’air épais, à goût d’urine et d’acide phénique. Entre rangée et rangée coule l’eau fétide du canal, où les morts flottent, endormis. Le ciel noir, au-dessus de l’hôpital, est zébré de longues cicatrices vertes. La ville n’a pas de ciel, surtout la nuit ; le fameux ciel de Venise est une invention des peintres vénitiens et de d’Annunzio. Pas de ville où le ciel soit si réduit, si pâle, si pauvre ; un fragment de ciel mangé sur les bords, comme un vieux mouchoir de coton. Ce peu de ciel qu’il y a à Venise, on le voit reflété sur la lagune, sur la façade des palais du Grand Canal ; c’est un ciel apeuré, chétif, exsangue, un ciel de papier. Pas de ville où soit resté si peu de ciel ; on ne sait où il a fini ; pourquoi il a été rongé si vite, ni par qui. Ce peu de ciel de Venise semble être fait de peau humaine. À qui le voit de près, à qui se promène sur le toit des Procuraties, ou monte au haut du campanile, ou s’étend de dos sur le toit du Palais des Doges et le regarde de près – sans tendre la main pour le toucher, car il est d’une matière fragile, cire peut-être, ou



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